Y A T-IL UNE CULTURE GAY?

Nous sommes le dix janvier, il est temps de plonger dans l’année déjà entamée. Tant de questions à explorer! Et en voici une : Y at-il une culture gay? (dans tout mon billet, le mot gay est à prendre au sens lgbt)
La question revient à demander si quelque chose relie les homosexuels entre eux,  en dehors de la sexualité et de ses différentes pratiques. Lorsqu’on parle de culture gay dans la société, des fantasmes s’expriment immédiatement. Un univers de relations débridées, dans une orgie sensuelle vient à l’esprit de bien des personnes se croyant ouvertes d’esprit. La culture gay serait forcément sexuelle (tapez culture gay sur un moteur, vous serez servi). Dans le meilleur des cas, ces bacchanales se perpétueraient dans un quartier réservé de Paris, le Marais. Une amie m’a demandé de l’informer de la diversité des pratiques sexuelles, comme si l’homosexualité équivalait à un diplôme de Kamasutra ceinture noire!

A les fréquenter, on découvre qu’il en est des gays comme du reste de la population. Leurs pratiques culturelles relèvent du tout et du n’importe quoi, aucune lecture ne semble obligatoire, aucun film n’a été vu par tous, aucun chanteur, ou chanteuse, n’est incontesté. Leur vocabulaire est celui de leur milieu social, géographique, communautaire.( A ce propos, la communauté gay, qui gèrerait un patrimoine commun, n’existe pas). Leurs habitudes vestimentaires varient dans les mêmes proportions et il y a des ringards, des branchés et des avant-gardes chez eux comme ailleurs. Leur sensibilité artistique généralisée est une illusion, il y a des homos au goût parfaitement grand public, et d’autres qui veulent sortir de l’ordinaire . Certains même revendiquent la certitude de ne pas adhérer au moindre code gay, et se fondent culturellement dans la masse la plus indistincte au nom de l’égalité. Ceux-là ne partagent à proprement parler aucune culture gay.

Il n’y a donc aucun point commun à tous les gays, sur le plan de la culture.  Mais y a t-il un fond culturel commun à une majorité d’entre eux?

The scissor sisters Any which way
L’histoire nous enseigne qu’une culture commune à de nombreux homosexuels est présente à toutes les époques, tolérantes ou non. Des écrivains s’en sont fait l’écho depuis le moyen-âge. Le fait de devoir se cacher, faire face à l’homophobie a toujours incité à développer des codes de reconnaissance, pour éviter des condamnations parfois lourdes. Puis venait la question de l’estime de soi. La société méprisant les « bougres », il fallait bien aux homosexuels trouver dans une culture un moyen de remonter dans leur propre estime.

Dès la renaissance, la redécouverte des mœurs antiques a fourni une légitimité au mode de vie homo. Un mode de vie plus ou moins excentrique ou discret. Proust l’évoque dans plusieurs personnages de son roman, Charlus entre autres. Curieusement, alors même que l’homosexualité n’étant pas héréditaire, les jeunes n’apprennent pas de leurs ascendants comment « vivre gay », les codes et la littérature gay se transmettent pourtant de génération en génération en continu jusqu’à nos jours. Avec régulièrement un dévoiement des codes homosexuels dans le domaine public : La bague trois anneaux (dite bague trois ors) dessinée par Cocteau a été adoptée par tous ses congénères, avant sa récupération mercantile pour le grand public, les codes de foulards se sont perdus dans les années 70, les boucles d’oreille dans l’oreille droite dans les années 80.

La richesse de cet héritage a eu un coup d’accélération depuis Stonewall, évènement fondateur de la culture gay moderne. Mais on peut en apprécier facilement des pans entiers datant de tout le vingtième siècle, et d’avant. Le cinéma offre  un panorama complet de films gays ou comportant des codes gays, depuis ses débuts avec Méliès, en passant par Jean vigo, Jean Genet, Andy Warhol, Visconti, Von Trotta et des centaines de cinéastes contemporains. La lecture de toute la littérature gay remplirait une vie entière, de françois Villon à…Frédéric Mitterand, en passant par Shakespeare, Oscar Wilde, Verlaine, Yves navarre et tant d’autres. La chanson n’est pas en reste, avec ses icônes gay-friendly ou gays, de Dalida à Starmania, de charles Aznavour aux scissor Sisters. Pourquoi feraient-ils partie d’une culture gay? Parce que le recul du temps l’a décidé ainsi, et que leurs œuvres sont regardées, lues ou écoutées par les gays, même des années après leur sortie.  La presse y participe aussi, en France grâce à Gay pied dans les années 80, puis à l’excellent Têtu, magazine de haut niveau qui aborde tous les thèmes. Internet n’est pas en reste, car outre le même Têtu version électronique, on y trouve les blogs gays, qui font vivre à leur façon la culture gay. Il existe des tendances de consommation, qu’il s’agisse de vêtements, de mobiles ou de décoration, qui se reconnaissent à Paris et en province.  Les Gay Prides sont l’occasion de déployer le drapeau arc en ciel et de revendiquer des droits équitables. Tous ces éléments d’une culture sont à disposition des gays dans le monde moderne et intégrés de manière diverse par la plupart d’entre eux. Et s’ils ne sont pas universels à tous les gays, bien peu n’en ont adopté aucun.

Mylene Farmer Oui…mais Non

Si la culture gay existe, elle dépasse largement la sexualité. Les « métrosexuels » se l’accaparent ouvertement, au point d’en brouiller les codes.  Les bisexuels (je parle de ceux qui pratiquent réellement et simultanément les deux sexualités) se frottent à elle pour mieux appréhender leur propre ambiguïté. Elle fascine les hétérosexuels qui prêtent on ne sait quelle magie à un cercle dont ils ne font pas partie. De là vient aussi la croyance irrationnelle en un hypothétique « lobby » homosexuel. En tous cas ils s’en inspirent fréquemment. Les médias et un certain nombre de stars débutantes ou confirmées l’empruntent pour se donner un vernis de tolérance, de branchitude ou simplement parce qu’ils l’aiment. Manifestement la culture gay existe, fut-elle aux contours flous ou aux limites contestables. Elle dépasse le soi-disant milieu gay, mais y trouve son épicentre, et si elle circule dans le marais, elle diffuse aussi dans une certaine presse, les autres médias, bon nombre de villes ou de villages français, des établissements, des millions de foyers. Reste à découvrir le principal :  Pourquoi survit-elle aujourd’hui?
Puisqu’on peut le faire durant tout le mois, je souhaite une excellente année à tous les lecteurs, et aux généreux blogueurs d’ Une fois par moi (il y a souvent des textes représentant un travail important sur ce blog). Qu’ils soient gays, hétéros, ou autres.

Flyde

15 réponses à “Y A T-IL UNE CULTURE GAY?

  1. Jerem 13 janvier 2011 à 22 h 16 min

    Les homosexuels ont d’abord et avant tout la culture de leur milieu social d’origine et, grosso modo, elle ne diffère en rien de leurs contemporains hétérosexuels.
    Certains aiment Sardou, d’autres non, certains se pâment devant Mylène à la moindre de ses apparitions alors qu’elle en laisse d’autres complètement froids, Lady Gaga devient la « nouvelle idôle » tandis que d’autres n’en retiennent que sa vulgarité …
    Il n’y a pas donc pas, en vérité, de culture gay uniforme.

    Ce que l’on tient souvent pour tel, est un sorte de Vulgate « historico-culturelle » créée progressivement par les plus intellectuels des homos militants, plutôt parisiano-parisiens, qui souvent ont cherché à définir une sorte de « pensée culturelle gay unique » pour donner à l’homosexualité ses lettres de noblesse – et qui irait leur reprocher ? -, parfois au prix de quelques contorsions, raccourcis et anachronismes, une « pensée unique » largement diffusée mais qui fait aujourd’hui moins l’unanimité qu’autrefois, qui commence à être contestée, y compris au sein du « monde » gay, et qui provoque parfois forces querelles entre historiens, plus exactement entre ceux qui continuent à ériger en mythe inattaquable cette Vulgate et à la propager, y compris dans ses contre-vérités, et ceux qui, tout en étant gays eux-mêmes, au nom de la religion de l’histoire, n’hésitent plus à revisiter, et parfois à écorner, certains de ces mythes, ce qui les expose d’ailleurs parfois à la véhémence de l’intolérance des gays les plus militants.

    D’autre part, il faut aussi tenir compte de l’éclatement de monde gay lui-même et des conflits tenaces qui le traversent: je ne suis pas sûr que spontanément tous les homos pourraient déclarer avoir une culture commune avec une « tante » ou un vieux militant pour qui homosexualité rime avec sexualité débridée et pratique régulière des baisodromes du Marais … et l’on sait combien la Gay Pride elle-même, est contestée au sein même du monde gay – y compris par moi-même-.
    Parce qu’en fait, tous ces éléments appartiennent à DES cultures gays – et non pas à UNE culture gay -, différentes, concurrentes et qui ne se recoupent pas.

    Finalement, qu’est-ce qui relève de la culture gay, qu’est-ce qui n’en relève pas ?
    A l’instar d’autres groupes, certains gays créent des modes … certaines sont reprises par les autres homos, d’autres pas, certaines dépassent le monde homo et sont copiées par les hétéros, d’autres meurent rapidement …
    Par exemple, qui sait encore aujourd’hui que porter une cravate rouge au début du XXème était signe d’homosexualité ?
    Les codes, les modes changent, la « culture » gay aussi; elle n’a rien de fixe, d’intangible, d’universel, en tout cas, pas plus que la culture hétéro.

    • Flyde 14 janvier 2011 à 0 h 42 min

      Merci pour ce commentaire très intéressant. Il est vrai que les études et autres colloques sur la culture homosexuelle semblent surtout destinés à créer une pensée culturelle commune.
      Comme tu l’as compris, j’y vois une tentative pour rétablir une identité, une dignité mises à mal. J’aurais aimé que tu donnes des exemples des contre-vérités les plus caricaturales que tu as pu rencontrer, car je pense que ces excès desservent la cause qu’ils prétendent soutenir, même si nous sommes d’accord pour la trouver louable.
      Je crois au contraire de toi que les cultures gays se recoupent, j’ai eu des surprises dans ce domaine à l’étranger. Et pour avoir énormément milité à vingt ans, je crois à l’utilité de la Gay Pride, mais c’est un autre débat.
      Je ne peux qu’adhérer à ta conclusion, et te confirmer le plaisir que j’ai eu à lire ta réflexion construite et claire.

      • Jerem51 16 janvier 2011 à 19 h 15 min

        Parmi les cas recensés certaines sont vénielles, comme la confusion homosexualité/pédérastie grecque ou celle qui, s’appuyant sur la légende noire, fait d’Henri III un homosexuel – concept d’ailleurs anachronique -, chose curieuse pour un roi qui eut plusieurs maîtresses et dont Marie de Clèves fut le grand amour), mais on retrouve aussi l’idée insinuée par John Boswell et maintenant presque admise par tous que l’Eglise aurait célébré des unions entre personnes du même sexe jusqu’au Moyen-Age ! alors qu’il ne s’agissait que d’un rite permettant à deux personnes du même sexe, très proches, de devenir frères ! (et, deux frères ne sont pas censés avoir des relations sexuelles sous peine d’inceste).
        Que certains aient voulu masquer leur relation de cette façon, pourquoi pas ?
        Mais dire que l’Eglise cautionnait et célébrait en toute connaissance de cause,« On peut se demander si ce n’est pas Boswell, au contraire, qui a forcé le trait, en voulant à tout prix donner aux homosexuels, au risque de l’inventer, un passé respectable et religieux qui puisse rendre légitimes leurs revendications actuelles. Ce qui n’est peut-être pas le meilleur service à leur rendre » (Didier Eribon, Nouvel Obs, 1996)

  2. Christophe 12 janvier 2011 à 14 h 22 min

    Bonne question. Et cela me fait penser à un écrivain hier soir à la télé qui disait que pour lui il n’y avait pas d’écrivain noir, blanc, jaune, français, américain, japonais, arabe… mais qu’il y avait la Littérature.

  3. Madrox 12 janvier 2011 à 12 h 19 min

    J’aime beaucoup ton article.

    Y a-t-il une culture Gay et comment s’en transmettent les codes ?

    Tu t’attaques à lourd et tu t’en sors plutôt bien.

    Si l’on n’apprend pas de ses ascendants comment vivre gay, on l’apprend tôt ou tard par ses congénères. Même si la notion est assez personnelle, on obtient des pistes via l’échange, via l’experience d’autrui. Parfois aussi via le reflet de « fantasmes » véhiculés par les hétéros, ce qui peut créer un décalage une fois confronté à la réalité.

    Je pense au fond, comme tu le suggères, qu’il y a autant de cultures gay que d’homosexualités. Chacun a la sienne et la véritable culture Gay naitrait du recoupement de l’ensemble.

    Cela dit, s’il y a une culture gay, peut on dire qu’il y a une nation gay ?

    Oh, j’allais oublier… Cher n’a pas été citée dans cet article, tu seras puni ^^

  4. 14 141 11 janvier 2011 à 13 h 07 min

    Pas toujours d’accord avec toi mais ta démonstration est vraiment très intéressante, brillante (oui j’ose) et bien documenté! Bravo!

  5. Flyde 10 janvier 2011 à 11 h 59 min

    Eh, oui,c’est encore la condition des homos en province. Tant qu’il y aura de l’homophobie, la culture gay sera bien vivante. De ce coté on est tranquilles!
    La Farmer est insubmersible, elle ne dépend même plus de Laurent Boutonnat pour être numéro 1 et faire taire les mauvaises langues. Heureuse année à toi aussi Linkiseb!

  6. Linkiseb 10 janvier 2011 à 8 h 35 min

    Elle survit car on n’est toujours pas parfaitement intégrés partout … vu qu’on est toujours plus ou moins obligés de se cacher ( je me voit pas tenir la main de mon copain en plein centre ville de Marseille ) .

    mais pourquoi la Farmer elle, elle survit ?? là est la question !!
    Bonne année à toi ! 😀

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