p’tit conte de Nau berrichon

La campagne était froide à c’t heure là. Le vent claquait et balayait le givre sur la route déserte. Les arbres s’agitaient au rythme du tribou* et la lumière faiblissait de minute en minute. Le bar-tabac affichait complet, Mme Chamaille trônait derrière sa caisse à arreuiller** les hommes sirotant leur p’tite goutte. Le froid avait gelé les parlements, pas mouches qui pètent, qu’on entendait, seule la campaine**** tintait quand l’un d’eux partait ou rentrait.

Nous, on était en face, ou presque de l’autre côté de la rue, juste sur la drette de la maison au volet rouge, c’est là que se trouvait l’école, toute une ribambelle d’agouant mal dégrossis à arder**** par d’ssus le muret, pellu***** de cagoule en laine qui gratte et de gants troués. On avait beau s’dégoudir les doués en soufflant dedans, il y avait plus de trous que d’laine. Alors on zieutait le bar-tabac comme si on allait le braquer. C’est exactement cela ! On attendait avec impatience, la fin de l’école pour aller la dévaliser, car c’était le jour ! Celui où la mère Chamaille recevait les sucres d’orge de Noël, des bâtonnets en forme de canne, rouges et blancs.

M. Légron, notre instituteur, nous guettait de la véranda, il devait aussi parler avec Madame, sa fumelle. On cherchait toujours à les espionner habituellement, mais là, l’affaire était trop sérieuse. Nous élaborions dans nos têtes des stratègies pour prendre d’assaut le bar-tabac. On s’est tous tourné à son signal, M. Légron venait de taper deux fois dans ses mains, et comme nous étions une petite troupe très obéissante, on s’est mis deux par deux devant la porte de la véranda. Fallait pas manquer l’appel !  Ça non ! C’était pas un drôle le monsieur Légron ! La chaleur nous étreignait lorsque nous franchissions le perron, mais pas que la chaleur, les odeurs aussi, celle du bois de chêne des bureaux franchement cirés et puis surtout celle du goûter qui nous attendait.

C’était mon dernier goûter de Noël. Je ne le savais pas encore, je sentais bien qu’il y avait quelque chose qui se tramait. J’avais volé quelques bribes de conversation entre mon père et mère, un soir juste après mon bain. Ils n’avaient pas remarqué ma présence.

–       Tu as des nouvelles pour Rennes ? s’enquit ma mère
–       J’ai une autre proposition en Normandie pour le mois de Septembre.

Normandie, Rennes ? C’est quoi, c’est où ? C’est qui ? Je n’avais pas vraiment compris les enjeux de ces mots. Le temps n’avait aucune emprise sur moi, j’étais insouciant.

On se dispersait les uns derrières les autres dans nos classes respectives. Les mains devant nous sur la table tendues, je jetais un coup d’œil par la fenêtre : je serais le premier si je cours le plus vite, je pourrais m’acheter mes deux friandises.

–       Les enfants, on va tous aller dans quelques instants dans le réfectoire, dit solennellement M. Légron. Une surprise vous y attendra.

On n’y tenait plus. Bruno, mon meilleur copain, se leva un petit peu trop brusquement :

–       Faux départ ! Veuillez vous assoir à nouveau et dans le calme!

Je l’ai fusillé du regard, le Bruno, je me souviens bien ! A cause de lui, la classe d’à coté est parti avant nous. C’est lorsque le bruit des pas sur le parquet se sont éteints que M. Légron nous invita à rejoindre nos camarades. Devant nous se dressait une table avec un bol en verre qui se casse en mille morceaux lorsqu’il tombait par terre, et juste à côté de celui-ci, une orange et deux grottes en chocolat. Il aurait fallu immortaliser cet instant, tous ces yeux rivés sur la dame de cantine. Je me souviens de son goût de ce lait chocolaté, de cette ambiance de recueillement, de cette chaleur humide, du givre sur les fenêtres, de ce bien être paisible qui s’était installé entre nous. L’après-midi passa rapidement afféré à nos occupations de décorations. Une atmosphère de joyeuse communion s’était installée. Elle perdura jusqu’à la fin de la journée. Et puis la tension monta d’un cran. Je m’étais préparé à l’assaut final. Quand le départ fut donné, je me précipitais le premier dehors tel un guerrier en furie, j’enfilais mon manteau et passai ma cagoule d’un geste, d’un seul.

Je franchis le seuil de la porte le premier, suivi d’une dizaine de mes petits camarades. Je fus le premier servi, mais au moment de payer, mes poches étaient vides. Mon franc avait disparu. Ma peine devait se lire sur mon visage. On pouvait pas dire qu’elle était très aimable, ni qu’elle aimait les enfants, mais elle avait bon cœur cette dame. En me tendant mon sucre d’orge, elle me dit : « Tiens barbouillaud, t’a pas d’picaillon mais agrape le quand même. J’te souhaite joyeux nau****** ! »

Je vous souhaite de joyeuses fêtes de « Nau » avec ou sans picaillon dans votre pochon!

 

Daïdou

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tribou* : Tourbillon de vent
arreuiller** : Regarder avec des yeux vifs
campaine***: un cloche
arder****: regarder
pellu*****:  couvert
les doués : les doigts
Nau******: noël

8 réponses à “p’tit conte de Nau berrichon

  1. Flyde 5 décembre 2010 à 19 h 45 min

    C’est absolument merveilleux, cette plongée dans un autre lieu, autre temps. On sent l’odeur entêtante des bocaux à bonbons.
    Et la Normandie? C’est un teasing pour le mois prochain?

    • 14 141 6 décembre 2010 à 9 h 07 min

      La Normandie… « la pot d’glue » comme je l’appelle, tu restes un peu trop longtemps en Normandie, et tu ne peu plus y bouger… mais pourquoi pas en effet parler de ma belle Normandie avec ses vaches, et son herbes grasse. Ca risque d’être un peu trash!

  2. PascalR 3 décembre 2010 à 15 h 39 min

    Plaisant ce récit à la manière de Robert Doisneau.

  3. ek91 3 décembre 2010 à 14 h 03 min

    Superbe texte. Voilà ce qui faisait que Noël était une période si « spéciale » quand j’étais enfant. Aujourd’hui, malheureusement, tout ça a (un peu) disparu.

    • 14 141 3 décembre 2010 à 14 h 47 min

      Merci ek91! Je parlais de toi avec Arthur ce matin et on est tout les deux heureux que tu fasses partis de l’aventure One F PM. Avant il y avait janjacQ juste avant toi ce qui me mettait une pression pour le trois du mois car c’était une vrai plume, ce gars! Maintenant c’est toi qui me là met, la pression! Et j’en suis ravi! A bientôt! Et bonne aventure ici et surtout chez toi!

  4. arthur 3 décembre 2010 à 10 h 58 min

    très sympa….ça annonce Noel, j’adore! et toujours ton style , plein de sensibilité…

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