Mon père, un homo

Je n’aime pas fouiller dans les historiques de pages web, surtout sur la session des enfants. Celle de mon p’tit Zèbre, c’est une autre histoire! J’ai l’impression d’être le grand inquisiteur en personne quand je m’exécute.
Pourtant il le faut bien, je ne veux pas qu’ils se sentent libre et sans surveillance. Le contrat est clair :
« Vous avez votre espace sous contrôle parental mais je peux à tout moment regarder votre historique. Ce n’est pas en vous que je n’ai pas confiance mais en l’Internet ! ».
Aussi je ne m’acquitte de cette tâche que très rarement, avec presque toujours un arrière-goût d’amertume.

Ce n’est pas pour me dédouaner mais je ne peux pas être à la maison avant 18h30 et les professeurs incitent de plus en plus leurs élèves à consulter Internet pour effectuer des recherches. Aussi il est inutile de vous faire un dessin, nos chères petites têtes brunes se retrouvent obligatoirement face à cette incontrôlable « toile ». Cette surenchère d’information n’est pas sans poser des questions dans les rangs des parents! Les pédagogues et les autres nous bassinent à longueur de temps sur la dangerosité du web! J’aimerais bien les voir dans ma vie, rien qu’une journée, se dépatouiller avec ces grands principes : Lever 5h30, petit-déjeuner, salle de bain, douche, habillage, préparation du lever des enfants, de leurs affaires, de leur petit-déjeuner, programmation de la machine à laver pour le soir, départ en bus, arrivée à la gare, le train, encore un autre bus. 8h00, j’enchaîne avec le travail non-stop jusqu’à 12h30, pose de 45mm. 17h00 machine inverse : bus-train-bus. J’arrive à 18h30 à la maison, bisous, signature des contrôles, vérification des devoirs pour le lendemain. Étendre le linge, filer en course entre deux, préparer le diner, aider aux devoirs dans la cuisine. Mon p’tit Zèbre arrive à 19h00, tout est prêt ! Je sais pertinemment qu’ils ont raison les psychologues, pédopsychiatres et autres pédagogues, mais où voulez-vous que je mette le créneau de surveillance ???!!!

Aussi j’ai choisi la liberté surveillée… et tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que je découvre ça :

« Cela fait de puis que je suis en 6ème que je cache se secret a toute mes amie. Quand on me demande pourquoi mes parents se sont séparé je répond, « mon pére n’été jamais la le soir , il allez aider quelqu’un »  mais en vérité , mon pére est un Homosexuel et ma mère aussi!!!! A chaque fois que quelqu’un traite une personne d’Homo je stresse !!! J’ai longuement hésité a vous avoué se secret car j’ai peur qu’une de met connaissence soit au courant je ne sais comment. Je ne me suis jamais moquer des gens qui on choisi d’aimer des hommes alors qu’ils en sont ou des femmes mais j’ai peur que plus tard certaine personne ne veille plus de moi comme amie !! Je ne sais pas comment j’ai réussi a tenir un secret aussi fort mais … j’ai réussi alors a chaque fois que quelqu’un me dit un secret , je sais que je pourait le garder toute ma vie !!!!!! et j’ai l’impression qu’il n’existe aucun secret aussi fort !!! Voila j’espère que vous ne rigoleré pas de moi et si vous rigolé de moi je vous direz juste, vous me juger pour se qu’est ma mére , pas se que je suis !! Voila je compte sur votre silence même si nous ne nous connaissons pas, j’ai réuni tout mon courage pour vous annoncé cela et toute ma confiance !!!! Je veux pas de vous une réponse précise mais j’ai besoin de savoir que mon secret sera un peu libéré ! »

La page est rose… glops ! Reconnaître les problèmes est une chose, se confronter à eux en est une autre. Mon premier réflexe ? En parler à mon p’tit Zèbre ! Il est proche des enfants de par leur naïveté partagée.

– Je voulais t’en parler justement. C’est pas la première fois que ça arrive, mais je suis souvent en retard au boulot le matin ! me dit-il
– Désolé mais je ne vois pas le rapport avec la souffrance d’Ana ?
– Ben, en fait, je tarde un peu le matin, tu me connais, je traine un peu au lit et puis je m’active progressivement. Je réveille les enfants vers 7h15 et j’enchaîne. Régulièrement il m’arrive d’être bloqué dans les toilettes durant 15 minutes ou au mieux dans la salle de bain… c’est suivant…
– Comment ça, bloqué ? Tu veux dire qu’Éric ou Ana t’enferment ?
– Non ! Mais la copine d’Ana !
– Qui ça ? Nathalie ? Celle qui vient chercher Ana ?

– Tu comprends rien ! Si je suis encore à la maison quand Nathalie arrive, Ana me demande de me cacher car elle ne veut pas que sa copine me voit ! Du coup, je suis obligé de me réfugier au plus près ! Et si je les croise toutes les deux en bas, dans le hall, Ana m’ignore royalement. Mais j’ai toujours droit à un petit signe discret pour me dire bonne journée.
– Tu ne me l’avais jamais dit ! Et tu gardes ça pour toi !?!?

Je n’imaginais pas à quel point la situation était aussi inquiétante. Lorsque je m’étais entretenu la première fois avec Ana de mon homosexualité, cela ne s’avérait pas être un problème pour elle. Je m’étais même alarmé de la répercussion sur son entourage, sur ses relations amicales, me projetant même sur la difficulté d’assumer mon choix de vie. Elle paraissait sereine.

Cependant ces nouvelles données éclairent davantage les réactions agressives d’Ana en Crète ou chez mes parents pendant les vacances de Noël.

Mon p’tit Zèbre et moi sommes très tactiles, les bisous, les câlins et les regards amoureux sont autant de marques d’affections au quotidien que de complicité nourrissant notre couple. Cependant nous ne nous les permettons qu’au sein de la sphère intime. Il nous arrive de déroger à ce protocole lorsque nous sommes seuls dans une rue ou dans un lieu public.

Alors que nous nous trouvions sur un lac de montagne, non loin de Réthymnon, sur le pédalo que nous avions loué, je déposai un baiser furtif sur les lèvres de mon p’tit Zèbre. Ana nous surprit, elle se trouvait dans l’eau. Limite agressive, j’ai voulu la provoquer un peu, juste pour qu’elle prenne conscience que nous étions à mille bords de toute embarcation et que personne ne pouvait nous voir. Aussi je réitérai mon piou s’en hésiter. Ni une ni deux, je vis ma petite poule en colère s’éloigner du pédalo à grande vitesse. Ne voulant pas que cela prenne une tournure disproportionnée, je la rejoignis aussitôt.

– C’est quoi le problème, Ana ?
– Rien ! C’est juste que vous vous embrassez devant tout le monde !
– Regarde autour de toi ! Nous sommes en plein milieu du lac ! Personne ne peut vraiment nous voir !
– Peut-être mais on ne sait jamais, si…
– Si quelqu’un nous surprend avec des jumelles ??? Je ne pense pas que le problème soit vraiment là. Je pense que tu as peur de m’avouer que mon homosexualité te dérange.
– Non, c’est vraiment pas ça mais j’aime pas vous voir vous embrasser quand on est à l’extérieur, dit-elle dans un sanglot ravalé.
– Je prends note et je peux te garantir que nous ferons désormais encore plus attention.

Je n’ai pas cherché à approfondir la discussion et j’ai voulu mettre rapidement fin à ce micro incident en revenant rapidement au pédalo.

Quatre mois plus tard, nous nous retrouvons chez mes parents pour fêter Noël, ma mère lance sur la table un sujet brûlant entre elle et moi : la Gay Pride. Ma position est radicale, cette manifestation est importante pour les revendications de la communauté LGBT. Ma mère, elle,  veut y voir un carnaval vulgaire qui n’a aucune visibilité politique.
Je ne l’ai pas vu venir, Ana intervient violemment :

– Ouais, c’est nul la Gay Pride ! Moi, j’veux plus y aller, ça me fait honte de voir des garçons qui se déguisent en fille et des filles camionneurs qui s’embrassent en pleine rue !
– Et ce carnaval n’a aucun sens, Daïdou. Vos revendications ne sont pas claires, rajoute ma mère.
– Sans vouloir te vexer, Maman, les femmes se sont battues pour voir leurs droits évoluer. Je te rappelle que votre lutte n’est pas terminée et que celle de la communauté LGBT n’en est qu’à son balbutiement. Nous sommes certes catalogués comme des folles qui sortent, ce jour-là, avec une plume dans le derche, mais il n’en est pas moins vrai que nous ne pouvons toujours pas avoir le choix du mariage ni la possibilité de transmettre un patrimoine à son conjoint, d’adopter des enfants, de ne pas subir des discriminations au travail et des insultes dans la rue ! Et la Gay Pride est là pour ça !
– Je suis entièrement d’accord avec toi ! dit mon père qui se réveille d’une mini sieste. Les femmes ont gagné leur combat malgré l’antipathie qui se dégageait de leurs manifestations. Au moins la Gay Pride est sympathique et joyeuse !
– Moi, je n’y vois que de l’exubérance outrancière ! rétorque ma mère.
– Je suis entièrement d’accord avec toi, Baboulia* ! Et je ne vois pas l’intérêt de réclamer le droit d’adopter. Maman et toi vous avez bien réussi à avoir deux enfants !
– Je te rappelle Ana que les bisexuels ont potentiellement plus de chances de devenir parents qu’un travesti ou un homosexuel homme ! Et puis l’histoire avec ta mère est d’abord une histoire d’amour.

La conversation prit fin rapidement, je ne voulais pas rajouter de l’huile sur le feu.

« Je ne me suis jamais moquer des gens qui on choisi d’aimer des hommes alors qu’ils en sont ou des femmes mais j’ai peur que plus tard certaine personne ne veille plus de moi comme amie !! »

Depuis cette dernière discussion houleuse, Ana est un peu distante avec nous. Elle rechigne à exécuter ses tâches ménagères, elle s’enferme dans sa chambre pour « t’chater » avec ses copines, et la communication s’est réduite à la plus stricte nécessité.

Les stages en entreprise sont devenus un passage obligé pour les élèves de troisième et c’est au tour d’Ana cette année. « Je devais aller chez une journaliste à Paris, mais malheureusement, pendant les vacances, elle est tombée dans les escaliers de sa maison et s’est cassé le nez, un bras, et éclaté l’arcade sourcilière. » dit-elle dans son rapport.

La journaliste en question est ma belle-sœur Marie. Cette dernière est la reine de la malchance. Impossible de compter le nombre de malheurs qui lui sont tombés dessus : anorexie, boulimie, viol par son gynéco, elle a aussi été mise enceinte par un mec marié… !!! Mais la liste s’est allongée encore ce 26 février.
Alors qu’elle revient de déposer son fils à l’école, elle remarque que la porte de son appartement est entrouverte. Ni une ni deux, elle se précipite sans prendre la moindre précaution et la voilà nez à nez avec un voleur. Celui-ci, pris de panique, lâche l’IMac qui rend l’âme un mètre plus bas et tente l’évasion par la grande porte ! Marie s’interpose dans la course. Le choc est violent. Nez broyé ! Elle s’agrippe à lui, dans l’étreinte de la désespérance et la voilà trainée sur plusieurs mètres pour finir au rez-de-chaussée, le bras cassé, l’arcade sourcilière ouverte et le visage totalement tuméfié ! Le stage d’Ana est donc annulé.

Il me faut trouver une solution rapide, le réseau familial fonctionne : l’école primaire du village de ma sœur ! Comme elle souhaite travailler plus tard comme sage-femme ou puéricultrice, cela pouvait être une expérience enrichissante pour Ana, la mettant ainsi en contact avec une population de très jeunes enfants. Quinze jours sans se voir, en comptant la semaine de vacances chez sa mère, c’est long ! L’appartement est vide et manque un peu de vie mais j’avoue que cela me fait du bien aussi… Son retour, je l’attendais avec impatience. J’avais hâte de la retrouver ! Ce n’est que le lendemain des retrouvailles que je fis cette triste découverte dans l’historique de navigation.

Je me souviens de mon état de fatigue, que j’avais rempli en partie mes besognes quotidiennes et que je ne voulais pas reporter à demain ce qui devait être fait depuis un bail. Le lien, intrigant de par son intitulé, titillait ma curiosité ; je cliquai dessus. Le forum s’adressait très visiblement à un public de jeunes adolescentes. Le sujet de la discussion se jeta sur moi avec la rapidité d’une mygale : « Mon père, un homo ». Je lus d’une traite le corps du message et mon cœur se serra à sa lecture. Je le lus comme les propres mots de ma fille. J’ai mal de cette souffrance vulnérable, insoutenable douleur.

Après la discussion avec mon p’ti’Zèbre, ma décision étant prise, je profitai qu’Eric soit chez sa mère pour être seul à seul avec Ana :

– Je suis allé sur ta session, hier.
– Ah, bon dit-elle  sur un ton un peu désinvolte.
– Je suis tombé sur un lien vers un forum.
– Et alors ?
– Je ne vais pas tourner autour du pot ! J’ai lu l’article « Mon père, un homo » !
– Ah, toi aussi ? Et alors, tu l’as trouvé comment ?
– Plutôt dur ce que tu as écrit sur ta situation.

Ana rit spontanément, d’un rire simple, cristallin qui résonna dans la cuisine.

– Non, ce n’est pas moi qui l’ai écrit cet article ! Moi, j’ai simplement mis un commentaire comme quoi c’était une situation originale et compliquée mais qu’elle n’était pas unique ! Et que pour moi, même si ce n’est pas tous les jours rose, j’arrive à le dire à mes copines sous le sceau du secret.
– Nathalie le sait ?
– Oui, depuis peu !
– Alors, il y a trois semaines, pourquoi as-tu enfermé le p’tit Zèbre dans les toilettes ?
– Désolée, c’était une blague, une petite vengeance… il m’avait fait une farce la veille au soir qui ne m’avait pas fait rire… alors je n’ai pas pu résister à mon envie de lui dire d’aller se cacher.

Ma fille est une fille, elle est taquine!

Quatorze Cent-Quarante-et-Un
(alias Daïdou)

19 réponses à “Mon père, un homo

  1. Virginie 16 avril 2010 à 23 h 04 min

    Je suis toujours très émus lorsque je te lis…
    Tu fait ce que tu peux et c’est déjà beaucoup et j’ai rarement vu autour de moi une personne qui se bat autant pour ses enfants…
    Tto à raison, il faut du temps pour faire évoluer même un tout petit peu les mentalités et le beau cadeau que tu lui fais c’est la proximité que tu as avec elle, un père est aussi important qu’une mère…
    Heureuse que tu sois revenu chez toi et ici…
    Bon week-end !!!!

  2. arthur 9 avril 2010 à 0 h 41 min

    très content de te relire, 14141….en plus, c’est come d’hab, très bien senti…merci

  3. Flavien 6 avril 2010 à 12 h 00 min

    Les enfants de gay(e)s sont obligés d’assumer l’homosexualité de leurs parents. Il n’y a aucune raison de s’excuser ou de culpabiliser pour ça. Généralement ils apprennent à choisir leurs amis, c’est plus facile qu’un handicap. A chaque fois que l’on se cache, c’est admettre qu’il y a quelque chose à cacher, de honteux, et cela les enfants l’intègrent très bien. Etre soi même, ne pas provoquer, ne pas cacher, être attentif. Bravo pour ton attitude, et encore plus pour avoir exprimé aussi clairement et habilement l’histoire.

    • 14 141 12 avril 2010 à 9 h 51 min

      @Flavien: c’est cette culpabilité que l’on traine en tant que parent: la souffrance du rejet que nous pouvons gérer quand elle nous concerne mais qui reste insupportable quand elle touche nos enfants…

  4. ditom 4 avril 2010 à 12 h 47 min

    Homo ou pas, je suis sûr qu’un tas de filles et de garçons adoreraient avoir un papa aussi attentionné que tu ne l’es.

  5. Christophe 4 avril 2010 à 0 h 25 min

    Déjà bienvenue parmi nous. Et très bel article. Je l’ai lu en regardant une tête blonde qui n’est pas loin devant la télé. Et un jour peut-être…. Bises

  6. Louisianne 3 avril 2010 à 20 h 43 min

    J’aime bien cet article ! J’ai du me reporter à ta présentation pour tout comprendre, mais j’aime bien ! Les temps changent et les enfants auront de nouveaux parents !

  7. janjacq 3 avril 2010 à 14 h 33 min

    « … ne veuille plus de moi comme amie »
    ben moi, si ma fille écrivait comme la correspondante de la tienne, je crois bien que je demanderais un test adn, parce que même sur un (t)chat c’est pas dieu possible de bousiller les mots et la grammaire comme ça !

    sinon, la renierais-je ? that’s the question ! 😦

  8. 14 141 3 avril 2010 à 11 h 35 min

    Merci!! Et bon week end!!!

  9. unefoisparmoi 3 avril 2010 à 10 h 55 min

    C’est compliqué hein ?
    Je suis juste persuadé d’une chose : le temps et le dialogue sont les meilleures cartes à jouer Daïdou. M’enfin, moi j’dis ça, j’suis pas Papa …
    Félicitations pour ton premier billet !!! 😉

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